Translate

Affichage des articles dont le libellé est Littérature grecque. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Littérature grecque. Afficher tous les articles

jeudi 30 juillet 2015

Défense et illustration des langues mortes



   Encore un énième texte sur le sujet, opinerez-vous de la tête en rejetant avec lassitude ce modeste article. C'est vrai, pourquoi écrire sur le sujet alors que (presque) tout a déjà été dit ?



   Eh bien parce que j'ose espérer que l'humble opinion d'une lycéenne qui les apprend encore, ces langues mortes, grec et latin depuis cinq ans, n'est peut-être pas totalement dénuée d'intérêt.



   Rappelons le casus belli. Le 11 mars 2015, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Education Nationale, présente la nouvelle réforme du collège qui propose, entre autres, la mise à l'écart de l'enseignement du latin et du grec, plutôt rassemblés au sein d'une nébuleuse matière intitulée "Langues et cultures de l'Antiquité" (sic), qui sera enseignée par les professeurs de Français.



   Cela signifierait, personne n'en a été dupe, la suppression pure et simple de l'enseignement de ces langues au collège. En effet, on se doute bien que les professeurs de Français, parmi lesquels d'ailleurs tous ne connaissent pas les langues d'Homère et de Cicéron, se jetteront sur l'aubaine que constituent ces heures nouvelles qui pourraient être utilisées pour boucler leur programme. Autant dire que grec et latin passeront à la trappe.



   Mais après tout, est-ce si grave ? Un nouvel enseignement élitiste vient d'être supprimé; d'ailleurs qui se soucie encore de ces barbons austères sur les textes desquels des générations d'élèves ont planché ? Elèves la plupart du temps contraints par leurs parents, ou qui ne choisissaient l'option latin que pour le voyage à Rome proposé par l'établissement, ou des points supplémentaires faciles à obtenir pour le bac. Des collégiens comme cela, j'en ai connu des quantités. D'ailleurs les langues mortes, c'est bien connu, ça ne sert à rien. Mieux vaudrait apprendre le chinois pour préparer les élèves aux exigences de la  mondialisation.



VETO.



   Primo, l'argument qui vient à l'esprit quand on défend l'apprentissage des langues anciennes, et d'ailleurs le plus utilisé pour convaincre les élèves de les choisir, est celui de l'étymologie. Nul ne méconnaît l'apport du latin et du grec au français. On estime à plus de 80% la proportion de mots dérivés du latin dans la langue française et à 3600 le nombre de mots hérités du grec, sans compter les termes passés texto dans le langage courant: aquarium, auditorium, alibi, agenda, bis, impromptu, libido, catharsis, coccyx, et caetera. A l'aide du grec et du latin, l'élève est ainsi en mesure de comprendre les mots difficiles auxquels il peut être confronté. Vous vous demandez ce qu'est une ploutocratie ? En bon helléniste, vous vous souvenez que  Πλοῦτος (ploutos) signifie richesse et  κρατεῖν (kratein), commander. La ploutocratie serait donc un système de gouvernement qui accorde le pouvoir aux plus riches. Impossible de se souvenir de l'ordre des tuniques du cœur ? Là aussi le grec ancien peut venir à la rescousse: l'endocarde, de ἔνδον, dedans, se situe à l'intérieur, le péricarde, de περί, autour, à l'extérieur et le myocarde, de μῦς, muscle, entre les deux. Latin et grec permettent donc un enrichissement du vocabulaire français, et quand on sait l'effet positif que peut avoir une belle plume, sur une lettre de motivation par exemple, il serait dommage de s'en priver. De même, grec et latin peuvent venir au secours de l'orthographe: si l'on sait qu'un χ grec donne ch en français et qu'un υ donne y, il est facile d'écrire correctement chalcotypie par exemple. Mais ne négligeons pas le fait que la version, l'exercice le plus classique lorsque l'on apprend le grec ou le latin, est d'abord un exercice de français, qui consiste à transformer des tournures idiomatiques propres à chacune de ces langues en phrases françaises correctes. A qui viendrait l'idée de traduire le datif de possession latin par exemple, par quelque chose d'aussi lourd et peu élégant qu' un livre est à moi ? L'exercice de la version permet ainsi de travailler son style.

   Je n'ai pas terminé avec l'étymologie. En effet, le français n'est pas la seule langue qui doit beaucoup au latin et au grec. C'est aussi le cas de nombreuses langues européennes, comme, cela saute aux yeux, l'italien ou le grec moderne, mais aussi l'espagnol ou le roumain, et de façon moins évidente, l'anglais, l'allemand ou le russe. Ainsi l'olive, dérivée du latin oliva, qui provient lui-même du grec  ἐλαίς, élais, olivier, se dit-elle oliv en allemand, olive en anglais, oliva en italien, oliven en Norvégien, et оливка, olivka,en russe. L'apprentissage de l'alphabet grec permet aussi, j'en ai fait l'expérience, de faciliter celui d'un autre alphabet, le cyrillique. Ainsi, latin et grec constituent un apport bénéfique dans la maîtrise des langues européennes, ce qui n'est pas négligeable à une époque où la pratique de plusieurs langues vivantes est indispensable dans le monde professionnel.



   Qui peut nier la place prépondérante qu'occupent les civilisations grecque puis latine dans la construction des identités des peuples du Bassin méditerranéen, de Grande-Bretagne jusqu'en Tunisie et d'Espagne à la Russie d'Europe ? Non contents de nous léguer leur langue, Grecs et Latins ont aussi dispersé des monuments sur tout le pourtour de la Mare Nostrum. Cet héritage gréco-latin a aussi fortement imprégné la pensée occidentale (on peut penser notamment à l'engouement des hommes de la Renaissance pour les auteurs de l'Antiquité). Ainsi, Montaigne se pose en digne successeur des philosophes gréco-latins. La politique a aussi été touchée: d'où vient l'organisation démocratique de nos sociétés sinon des anciennes cités grecques puis de la République romaine ? Le seul nom de Sénat n'est-il pas une antique réminiscence ? Quand on sait ce que l'on doit aux hommes de l'Antiquité, on ne peut pas envoyer aux oubliettes leur civilisation à laquelle nous devons tant. L'homme n'a-t-il pas besoin de s'appuyer sur le passé pour construire l'avenir ? Dans cet héritage est également comprise une culture commune aux peuples de la Méditerranée. Cette culture, que l'on peut s'approprier par l'étude des textes anciens, n'aurait pas comme principal avantage pour les collégiens de leur permettre plus tard de briller en société, comme certains voudraient le faire croire. Simplement parce que la culture, c'est bien plus que cela. La culture, c'est un bagage commun, des références communes, sur lesquelles s'appuie une portion plus qu'impressionnante de notre vie de tous les jours, à commencer par quelque chose d'aussi anodin que la publicité. De même, c'est la culture qui unit les peuples, et pour paraphraser le vieil adage qui s'applique à la musique, on peut affirmer que "la culture adoucit les mœurs", et qu'il n'y a pas de plus efficace remède à la guerre et aux affrontements que la reconnaissance d'une culture commune.



   Tâchons maintenant d'approfondir un des domaines les plus importants auquel s'applique cette culture commune gréco-latine, à savoir la pensée antique. Comment, en effet, faire toucher du doigt aux élèves la rigueur de raisonnement et de pensée des philosophes antiques, sinon en les leur faisant découvrir dans la fraîcheur du texte original ? Et au-delà, on peut gager que le cours de latin ou de grec sera l'occasion rêvée de faire découvrir des auteurs merveilleux et des écoles de pensée captivantes, sur lesquels l'élève n'aurait peut-être pas l'idée de se renseigner de lui-même. La clarté et la mesure qui se dégage des écrits de Platon par exemple, imprégné de la maïeutique de Socrate, ou l'art de "faire accoucher les esprits", ne pourraient que plaire à ceux que l'aspect parfois fastidieux de la philosophie rebute.



   Mais l'enseignement du latin et du grec n'a pas uniquement des fruits purement utilitaires. Il offre aussi l'occasion d'initier les élèves à la beauté des textes anciens, qui ne peut que ravir l'esprit. C'est ici qu'apparaissent les limites de la traduction. Comment en effet rendre l'amère cruauté de la fuite du temps si bien exprimée dans un poème de Rufin contenu dans l'Anthologie palatine: " De ses charmes d’autrefois, rien ne lui reste, pas même en rêve ; elle a de faux cheveux et le visage couvert de rides, comme n’en a même pas un vieux singe", sinon en scandant le texte grec pour en faire apparaître le rythme révélateur ? C'est la même chose pour les réquisitoires de Cicéron contre Verrès, le gouverneur corrompu et pillard de la Sicile, dont on ne peut apprécier la force qu'en étudiant les figures rhétoriques. Ne parlons pas du simple plaisir de découvrir de beaux textes, comme celui de l'orateur Lysiassur le meurtre d'Eratosthène, des pages magnifiques que j'ai eu l'immense chance de découvrir en cours de Grec cette année, et que je vous engage vivement à lire.

   Enfin, et c'est ce qui parle le plus à mon esprit de scientifique, je suis intimement convaincue que  l'apprentissage du latin et du grec permet ce qu'on pourrait appeler une "gymnastique de l'esprit" extrêmement formatrice. J'entends par ce terme une rigueur presque mathématique, tout un travail de décomposition et de raisonnement à partir de règles syntaxiques préétablies. Les déclinaisons latines et la conjugaison grecque dans toute leur complexité constituent autant d'occasion de forcer son esprit à haïr l'à-peu-près et à raisonner avec justesse. Je pense que c'est cette rigueur qu'apprend l'étude des langues anciennes qui constitue le plus grand enrichissement que peuvent retirer les élèves.



   Je suis donc convaincue que la survie des langues anciennes est d'une importance capitale aujourd'hui encore pour des raisons bien plus importantes qu'il n'y paraît, et met en ce jour toute ma confiance en les membres du personnel de l'Education Nationale, persuadée qu'ils auront le courage de résister à cette réforme délétère qui priverait cruellement les collégiens des trésors gréco-latins.

   J'en profite également pour adresser toute ma gratitude à mes professeurs de latin et de grec qui ont su me donner le goût de ces langues magnifiques.

   Voilà un article un peu différent de ceux d'habitude...mais cela faisait longtemps que je voulais m'exprimer à ce sujet ! Maintenant c'est chose faite.

   Liens d’œuvres de  l'Antiquité dont j'ai déjà parlé sur ce blog:
Œdipe-Roi de Sophocle


Au week-end prochain pour un autre billet plus classique !

vendredi 28 novembre 2014

Sophocle - Œdipe Roi

   Ce n'est pas vraiment dans mes habitudes de lire des pièces de théâtre, encore moins d'assister à des représentations théâtrales. Je dois vous avouer que le théâtre n'est pas mon genre de prédilection. Cependant... comme dirait mon professeur de Grec (oui je suis helléniste), "Qui n'a pas lu Œdipe Roi n'a rien lu". Je l'avais déjà lu il y a fort longtemps, alors j'ai décidé de m'y replonger.
 
Titre: Œdipe Roi
Auteur: Sophocle
Genre: tragédie
Date de publication: Vème siècle av. J-C
Pays: Grèce
 
Résumé
   Œdipe, roi de Thèbes, voit son peuple confronté à un terrible fléau: une malédiction s'est abattue sur la ville. Son beau-frère Créon lui conseille alors de consulter le devin Tirésias pour trouver le moyen d'apaiser le courroux des dieux. Celui-ci serait dû au meurtre impuni du prédécesseur d'Œdipe sur le trône de Thèbes, le roi Laïos. Devant l'insistance du roi, Tirésias finit par avouer le nom du meurtrier: c'est Œdipe lui-même. En effet, frappé par une malédiction divine, Laïos devait enfanter un fils qui le tuerait et épouserait sa propre mère. Effrayé par cette prophétie, lorsqu'un enfant lui était né, il l'avait abandonné dans un ravin. Mais un berger de Corinthe avait recueilli le petit Œdipe et l'avait confié aux souverains de sa ville qui ne parvenaient pas à avoir d'enfants. Devenu plus âgé, Œdipe était parti pour Thèbes afin d'échapper à la prophétie lui annonçant qu'il allait tuer celui qu'il croyait être son père et épouser sa mère. A la croisée d'un chemin, à la suite d'une altercation entre voyageurs, Œdipe avait tué un homme et sa suite. Arrivé à Thèbes, il était parvenu à trouver la solution de l'énigme du Sphinx, libérant ainsi la ville de ce monstre. Il avait alors été sacré roi à la place de Laïos assassiné, et avait épousé sa veuve. Mais il faudra toute la pièce à Œdipe pour qu'il comprenne enfin la funeste vérité...
 
Mon avis
   Comment j'ose donner mon humble avis sur ce monument de la littérature, qui a été un des mythes fondateurs de notre civilisation gréco-latine, une pièce vieille d'il y a plus de 25 siècles, qui a inspiré à Freud sa célèbre théorie psychanalytique du complexe d'Œdipe, je me le demande... je vais cependant essayer.
   Comme vous pouvez l'imaginer, et comme toute tragédie, mais particulièrement celles de Sophocle, Œdipe Roi est caractérisé par le poids écrasant de la fatalité qui pèse sur les personnages. Dès le début de la pièce, on sait que tout va mal se terminer pour ceux qui ont voulu échapper à leur destin. La double horreur du parricide et de l'inceste poursuit le héros jusqu'à la fin. Sa chute sera terrible lors du dénouement. En ceci réside le génie de cette tragédie: le lecteur ou le spectateur observe tout le long de la pièce des personnages qui se débattent contre leur destinée, mais qui fatalement ne pourront lui échapper. Leur faiblesse est totale face à la toute-puissance des dieux. Il faut reconnaître que cela fait frissonner...
   Je dois maintenant vous avouer que j'ai un faible pour la littérature grecque de l'Antiquité, sûrement bien plus que pour la littérature latine. Non seulement, en helléniste convaincue, je tiens la langue grecque pour une des plus esthétiques du monde, mais je suis particulièrement sensible à la beauté, à la poésie, à la force des textes grecques de l'Antiquité. Dernièrement, j'ai été profondément touchée par la magnifique maîtrise de la langue dont fait preuve Lysias dans son discours Sur le meurtre d'Eratosthène. Œdipe Roi ne fait pas exception. La beauté du langage et la force de l'ironie tragique y sont vraiment impressionnantes. J'ai particulièrement aimé un passage du début de la pièce, le dialogue qui voit s'affronter Œdipe qui brûle de connaître le nom du meurtrier de Laïos et le devin Tirésias qui tente de le dissuader de chercher à connaître la vérité, justement pour ces raisons. En outre, par nature, une pièce de théâtre est destinée à être jouée. Je crois bien que c'est la première fois que je n'ai presque pas ressenti de frustration en lisant une pièce de théâtre, car j'ai trouvé les dialogues tout simplement magnifiques si bien que je pense que cela a suffi à mon bonheur !!!
   J'ai cependant un tout petit bémol à ajouter. Même si les personnages comme les interrogations qu'ils suscitent sur le destin sont tout à fait humains et intemporels, j'ai toutefois bien ressenti que cette tragédie avait quelques siècles. En effet, l'écrasement complet des personnages sous le poids du destin ne laisse selon moi pas énormément de place à l'analyse des sentiments, contrairement aux tragédies de Corneille par exemple. De plus, on n'est pas vraiment habitué à cette présence du chœur et à ses chants qui m'ont paru quelquefois obscurs.
   Il n'en demeure pas moins que cette tragédie est, à mon avis, un pur chef-d'œuvre, un bijou de la littérature occidentale, à lire et à faire lire de toute urgence.

Mon verdict
   5/5 bien sûr, un vrai chef-d'œuvre